Projet1, Scène 1, Première Partie.
Le premier stimulus qu'il perçut fut un bourdonnement. Ensuite il devina à travers ses paupières des lumières qui dansaient devant lui. Il ouvrit les yeux. Graduellement les lumières devinrent des formes de plus en plus précises. Il ne reconnaissait pas l'endroit. Il entrouvrit la bouche et se passa la langue sur les lèvres; elles étaient sèches. Il avait l'impression d'avoir du coton dans la bouche et un goût âpre et métallique envahissait ses papilles chaque fois qu'il déglutissait une salive imaginaire. Le goût était familier mais il était incapable de le situer. Et puis il y parvint: c'était le goût induit par les drogues de suspension. Tout le reste lui revint après cela: le cargo, la ceinture de Kuiper, la Terre et surtout son plan. Il inspira profondément, expira. Si tout allait bien, il n'aurait ni à mourir, ni à tuer.
Malgré la température agréable il frissonna sur sa couchette. Il supposa que son corps lui signalait que les drogues qui avaient ralenti son métabolisme cessaient d'agir. Il retira les perfusions de ses bras et laissa flotter la tubulure au dessus de lui. Il appuya sur un contrôle et les tuyaux disparurent dans le compartiment où ils seraient stérilisés et préparés pour la prochaine suspension. Il déboucla la sangle qui maintenait son torse sur la couchette, puis enleva celle au niveau de son bassin. Aussitôt il s'éloigna doucement de la couchette mais ne fit aucun mouvement pour contrôler sa dérive. A la place il s'étira et fit quelques mouvements très lents. Il reprenait rapidement possession de son corps malgré les années passées en suspension. Lorsqu'il atteignit la paroi de la chambre de suspension, il saisit la main-courante la plus proche et se stabilisa d'un bras.
Il se trouvait au dessus de la couchette de suspension de Scott5, son unique coéquipier. Il émergerait de suspension un peu plus tard car le protocole voulait que le pilote fut réanimé le premier, le responsable minier ensuite. Scott5 donnait l'impression de dormir paisiblement. Mais son sommeil était beaucoup plus profond: ses fonctions vitales étaient tellement ralenties qu'il aurait pu passer pour mort. C'était grâce à cela que les humains pouvaient supporter les distances énormes des voyages interplanétaires. Le pilote contempla son coéquipier. Un doute commença à l'envahir, il le chassa immédiatement. La console annonçait le réveil de Scott5 dans cinq minutes; il devait se dépêcher de faire le point du cargo avant de revenir neutraliser son coéquipier.
La partie habitable du cargo avait la forme d'un cylindre divisé en trois sections. Le pilote traversa le seul sas de la section de suspension et déboucha dans la zone de vie principale. Tout le mobilier et les équipements étaient répartis sur la surface intérieure du cylindre, laissant l'axe longitudinal complètement libre. Il dériva sur toute sa longueur jusqu'au sas menant au poste de pilotage. Il le traversa et agrippa le siège du pilote face aux instruments et aux écrans de contrôle. Il attrapa la main-courante au dessus de lui et examina les cadrans.
Le vaisseau se trouvait à quatre jours de la Terre, au sortir de la phase de ralentissement, quatre ans après son départ de la ceinture de Kuiper. Le pilote consulta l'écran où était résumé le statut général du cargo. Le contrôle d'environnement était optimum et les paramètres atmosphériques acceptables. La cargaison de glace et de minerais rares avait bien supporté la descelleration et les quatre moteurs à fusion fonctionnaient au ralenti, prêts pour les dernières manoeuvres. Enfin, les niveaux de carburant étaient largement au dessus des seuils critiques. Tout allait bien, il allait pouvoir s'occuper de Scott5 avant de lancer l'exécution de son plan.
Il pivota, positionna ses pieds sur le dossier du fauteuil et donna une impulsion en direction de la section de vie commune. Il franchit le sas et flotta vers la main-courante au dessus de lui. D'un coup de poignet il changea de direction vers la réserve de nourriture. Il y prit une brique de reconstituant liquide qu'il accrocha à sa ceinture. Il flotta ensuite vers l'armoire à pharmacie sur sa gauche. Il agrippa les poignées de part et d'autre de l'armoire et plaça un pied dans un étrier au sol. Une fois stabilisé il ouvrit la pharmacie et attrapa une fiole d'anesthésique et une seringue hypodermique. Il prépara la dose pour endormir un adulte du poids de Scott5 pour une heure ou deux. Il replaça la fiole sur son étagère, recapuchonna l'aiguille, rangea la seringue dans une poche et s'orienta vers la zone de suspension. Une impulsion des deux jambes le propulsa à travers le sas. En deux changements de directions il arriva à côté de la couchette de Scott5. Il consulta l'écran de contrôle qui lui confirma que l'émergence de Scott5 était prévue dans les minutes à venir.
Il déplia la paille télescopique de son reconstituant et avala une gorgée en regardant le corps encore inerte de Scott5. Quelque part il s'en voulait de traiter son coéquipier comme il allait le faire, mais il n'avait plus le choix. Il s'apprêtait à risquer leur vie à tous les deux et à en menacer des milliers d'autres, mais il ne pouvait plus rester inactif, il devait agir. Scott5 ne pouvait pas comprendre les motivations du pilote, il était trop bien conditionné dans son rôle. Il comprendrait peut-être un jour que ce qui allait se passer était également dans son intérêt. Un signal sonore tira le pilote de ses réflexions. L'émergence de Scott5 était confirmée, il était encore inconscient mais ne tarderait pas à refaire surface. Il était temps d'agir.
Le pilote laissa échapper la paille qui se rétracta dans la brique. Il déboucla la sangle encerclant le large torse de Scott5 et la retira des passants de la couchette. Avec il encercla le torse et les bras de Scott5 au niveau des biceps et serra. Il récupéra ensuite la sangle maintenant le bassin de son coéquipier et lui attacha les mains. Enfin il mit la main sur une sangle de sa propre couchette et entrava les pieds de Scott5 au moment où il reprenait conscience.
Scott5 ouvrit les yeux et regarda autour de lui. Il vit le pilote, lui sourit et referma les yeux. Le pilote en profita pour enlever toutes les perfusions de Scott5 et s'éloigna. Scott5 ouvrit les yeux de nouveau. Il esquissa un geste du bras mais se rendit compte qu'il était attaché et qu'il flottait au dessus de sa couchette. Il regarda de nouveau le pilote, les yeux grands ouverts, complètement réveillé cette fois.
«H2, qu'est-ce que tu fous? T'es dingue? Arrête de déconner et détache-moi.
—Je ne peux pas, Scott5. J'ai quelque chose à faire et je ne veux pas que tu me gênes. Je vais t'emmener dans ton compartiment de couchage et tu vas y rester sans faire de bruit, d'accord?
—De quoi tu parles? Détache moi, j'ai pas envie de jouer.»
Scott5 s'agitait de plus en plus sous l'effet de la colère. Son visage devint tout rouge. De grosses gouttes de sueur perlaient sur son front et furent propulsées dans toutes les directions lorsqu'il secoua la tête en se débattant. Il poussa un cri de rage et de frustration et tira de toutes ses forces sur les liens qui le retenaient. La sangle sur sa poitrine mordait profondément dans les muscles de ses bras. Il arqua son corps d'avant en arrière pour faire bouger ses entraves sans succès. Sa masse et la suspension eurent bientôt raison de lui, il s'épuisait rapidement.
H2 en profita pour attraper Scott5 par sa tunique et se laissa dériver avec lui. Leur visage n'étaient séparés que de quelques centimètres, H2 sentait la respiration de Scott5 sur ses joues. Le gabarit impressionnant de Scott5 n'était guère un avantage en apesanteur. H2 brandit la seringue devant Scott5.
«Ecoute moi bien. Si tu ne te calmes pas, je te fais une injection qui va t'endormir pour quelques heures. Pour moi c'est la même chose. Tu te calmes et tu reste conscient, où alors tu retournes dans les bras de Morphée. Tu choisis quoi?»
Scott5 observa H2 pendant quelques secondes en évaluant la proposition. Son visage finit pas se décontracter.
«Je viens de passer les quatre dernières années à dormir, je veux rester éveillé. C'est bon, je reste calme.
—Bien.» H2 agrippa Scott5 par une sangle et l'emmena dans la section principale. Il plaça son partenaire dans son compartiment et l'y arrima. Scott5 ne quitta pas des yeux H2 pendant toute l'opération, comme s'il cherchait des réponses sur son visage.
«Qu'est-ce tu fous, H2?
—Tu verras bien.» Le pilote se retourna et fusa vers le poste de pilotage en une impulsion.
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