Projet1, Scène 1, Seconde partie.
Il traversa la section principale sans un mouvement, passa par dessus le siège du pilote et s'y installa d'un mouvement fluide. Il décrocha le reconstituant de sa ceinture, le coinça entre les deux leviers de contrôle du ravitaillement, déploya la paille et aspira plusieurs gorgées. La fraîcheur du liquide l'aida à se détendre; Scott5 lui avait posé plus de problèmes que prévu. Il inspira à fond et boucla le harnais de sécurité de son siège. Il attrapa le casque d'intercom et le positionna sur sa tête. Une dernière respiration et il activa le canal radio du port spatial.
«Port Magellan, Port Magellan, ici le cargo Mercure370. Me recevez-vous?
—Cargo Mercure370, ici Port Magellan.» La voix du contrôleur résonna dans l'oreille de H2. «Je vous reçois fort et clair. Vous êtes en avance de trois jours sur votre plan de vol. Quelle est votre situation?
—L'équipage vient de sortir de suspension à l'instant. Pas de complications médicales à signaler.» H2 jeta un oeil sur un écran à droite. «Les moteurs de décélération ont été coupés il y a cinq heures. La trajectoire actuelle nous amènera en approche du port dans quatre jours. Les niveaux de carburant sont dans le vert, tous les systèmes sont opérationnels.
—Bien reçu Mercure. Je vous ai sur mon écran. Votre angle est correct, pas de correction nécessaire. Gardez le cap, on se recontacte dans deux jours.
—Bien reçu, Port Magellan. Pas de correction de trajectoire.» La partie facile était terminée. Les choses sérieuses allaient commencer maintenant. H2 s'éclaircit la gorge. «J'ai une requête, Port Magellan. Pouvez-vous me passer la sécurité du port?
—Ce n'est pas la procédure régulière, Mercure.
—Je sais, Port Magellan. Pouvez-vous faire une exception? C'est important.»
Le contrôleur se tut pendant de longues secondes. H2 passait en revue les autres moyens d'entrer en contact avec la sécurité du port, mais les communications depuis un cargo étaient limitées. Mieux valait convaincre le contrôleur. Alors qu'il échafaudait tout un argumentaire, le contrôleur l'interrompit.
«D'accord, Mercure. Le trafic est léger, je vais faire une exception. Restez à l'écoute.»
Le souffle de la radio remplaça la voix du contrôleur. H2 expira et reprit une respiration qu'il ne se souvenait pas avoir interrompue. De nouveau seul, sans rien d'autre à faire qu'attendre, le doute s'insinua. Alors que l'idée avait germé dans la ceinture de Kuiper, il avait redouté ce genre de situation. Il n'avait pris sa décision finale qu'au moment du retour, pour être occupé et ne pas penser aux conséquences de son plan. H2 ne voulait pas donner la moindre opportunité au doute de s'installer. Il attrapa la paille de son reconstituant et avala une longue gorgée. Il ferma les yeux et essaya de faire le vide en lui. Ses efforts ne furent pas un complet succès, mais le répit était bienvenu.
Une voix se fit entendre à la radio. «Ici la sécurité de Port Magellan, c'est quoi le problème?»
H2 sourit. Son interlocuteur était manifestement désarçonné par l'incongruité de sa requête. Il l'imagina bourru, rougeaud, engoncé dans son uniforme et mal à l'aise face au micro. H2 répondit: «Ici le cargo Mercure370. Etes-vous le chef de la sécurité du port?
—Je suis le représentant du Prévôt dans ce district. Qui êtes-vous et quelle est l'urgence? Parce qu'il s'agit bien d'une urgence n'est-ce pas?» La menace dans la voix du chef était claire.
«Je suis le clone H2, pilote du cargo. Mon responsable d'exploitation minière est le clone Scott5. En ce moment, il est ligoté et attaché dans son compartiment de couchage.
—Qu'est-ce que...
—Laissez-moi finir. Nous sommes partis il y a neuf ans en mission de collecte minière dans la ceinture de Kuiper pour le compte de Horatio, mon original. Nous venons juste d'émerger de suspension en approche finale de la Terre. Dans quatre jours, nous devrions nous arrimer à Magellan.
—D'accord, d'accord, mais pourquoi votre coéquipier est attaché?»
H2 détacha chacun de ses mots. «Je vous ai dit de me laisser finir.» Il écouta mais le chef ne dit rien. «Je vous raconte tout ça pour que vous compreniez l'existence que nous menons, nous les clones. Vous devez savoir que c'est la seule existence qui nous est permise à cause des restrictions de clonage. Je veux vous faire sentir que passer huit années en suspension et une année à collecter de la glace et de la poussière n'a rien d'enviable. Quand vous aurez compris tout ça, vous comprendrez mes revendications.»
Le chef de la sécurité ne répondit pas tout de suite. H2 l'imagina en train d'évaluer la situation le plus vite possible. Au moins, H2 avait réussi à attirer son attention. Le chef finit par parler: «Revendications? Quelles revendications?
—Je vous conseille de transmettre tout ce qui va suivre au Prévôt le plus vite possible. Je veux obtenir les mêmes droits que n'importe quel être humain. Le fait que je soit un clone n'enlève rien à ma qualité d'humain. Il n'est pas normal que les clones soient considérés comme des hommes de seconde classe dont le seul but est d'accomplir des tâches ingrates pour le bénéfice d'un original. Les clones sont les esclaves modernes, je veux nous libérer.» Tout en parlant H2 se pencha sur la console et actionna un contact puis vérifia un écran.
La voix du chef de la sécurité bourdonna dans l'écouteur. «Je ne comprends pas. Le clonage n'a été approuvé que dans le cas des voyages interplanétaires.
—Précisément. Aucun original n'accepterait de passer dix années dans l'espace, même en suspension. Il est impossible de maintenir une famille dans ces conditions. Nous les clones n'avons pas le choix et ce n'est pas normal. Je veux les mêmes droits qu'un être humain pour tous les clones.
—Le Conseil Terrestre n'acceptera jamais d'honorer une telle revendication.» Le chef laissa échapper un petit ricanement. «Je ne suis même pas certain qu'il en ait le pouvoir.»
Dans la section principale, Scott5 se mit à crier et à frapper les cloisons avec les parties libres de son corps. «Ne le laissez pas faire! Il est dingue! Venez me tirer de là!» Il avait dû entendre ce que H2 venait de dire à la radio.
H2 jeta un oeil vers la section principale mais ne put voir son coéquipier. Il déboucla son harnais, dit au chef de la sécurité qu'il allait devoir s'absenter quelques secondes et qu'il s'attendait à le retrouver à son retour, déposa son casque d'intercom et se rendit dans la section principal en vérifiant que la seringue était toujours dans sa poche.
Scott5 était ruisselant de sueur, le recyclage d'air ne parvenait pas à éliminer l'odeur de fauve de la pièce. Son visage était rouge et ses liens mordaient profondément son torse. «Qu'est-ce que tu fiches? Ça va pas? Un clone peut pas être comme un original! C'est la loi.
—Du calme, une loi ça s'adapte. Tu pourrais aussi en profiter.
—Je m'en fiche. On va finir par avoir de gros ennuis si tu continues. On pourrait être interdit de vol!
—Ça suffit! Tu te tiens tranquille, ou je t'endors.» H2 sortit la seringue de sa poche et décapuchonna l'aiguille.
«Tu peux pas faire ça! Je ne veux pas couler avec toi.» Scott5 s'agita de nouveau. «Je vais t'en empêcher.
—Alors tu ne me laisses pas le choix.» H2 attrapa le bras de son coéquipier. Il n'eut aucune peine à trouver une veine tant elles étaient saillantes. Il enfonça l'aiguille et injecta l'anesthésique. En quelques secondes, Scott5 perdit connaissance. H2 vérifia son pouls (fort et régulier) avant de repartir vers le poste de pilotage.
Il s'installa de nouveau dans le siège et replaça l'intercom sur sa tête. «Toujours là?
—Je suis là.» La voix du responsable était plus ferme. Les quelques instants d'interruption avaient dû lui permettre de faire le point. «Vos revendications n'ont aucune chance d'aboutir.
—Elles ne peuvent aboutir parce que je ne suis qu'un clone et c'est exactement pour ça que je veux faire changer les choses.» H2 s'affaira sur une autre partie de la console de pilotage.
Dans son oreille, le responsable répondit: «Non, c'est un problème politique. Le Prévôt n'a aucun pouvoir dans ce domaine. Il vous faut plutôt aller convaincre des élus et essayer de faire changer les statuts par un vote démocratique.
—J'ai un autre moyen plus rapide. Si vous consultez la télémétrie du Mercure, vous verrez que le pilote automatique n'est plus engagé. Je l'ai désactivé pour éliminer les sécurités automatiques.» H2 bascula un contrôle devant lui. «Et si vous examinez la trajectoire que je viens de programmer, vous verrez qu'elle est plus directe qu'une approche d'accostage: j'ai placé le cargo en collision avec le port spatial, l'ascenseur orbital et la planète. Si mes revendications ne sont pas prises en compte, il va y avoir beaucoup de morts. Vous avez quatre jours. Prévenez le Prévôt.»
H2 retira son casque, le jeta sur la console et se prit la tête dans les mains. Il n'était plus question de revenir en arrière maintenant.
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